Routes départementales, toute une histoire

ESTRÉE-BLANCHE - Une légende tirée par les cheveux ? En roulant sur la chaussée Brunehaut, on a une petite pensée pour cette reine des Francs qui serait morte attachée nue par les cheveux, un bras et une jambe à la queue d’un cheval indompté… sur une route rectiligne qu’elle aurait tracée (afin de mener rapidement ses armées vers la mer) en passant un pacte avec le diable ! Les légendes ont la vie dure mais en réalité la chaussée Brunehaut est l’héritière de la voie romaine d’Arras à Boulogne en passant par Thérouanne.

Sur la RD 341Sur la RD 341
CD62/J.Pouille

Jusqu’en 1972, date de la réforme qui marqua un tournant dans la politique routière de la France avec le déclassement de plus de 50 000 kilomètres de routes nationales, elle s’appelait RN 341, reliant Sainte-Catherine-lès-Arras à Saint-Martin-Boulogne. La désormais route départementale 341, plus connue sous le nom de chaussée Brunehaut s’étire sur 103 kilomètres. Un coup d’oeil sur une carte du Pas-de-Calais permet de distinguer deux lignes droites, des portes d’Arras (l’ancienne capitale des Atrébates) à Thérouanne (l’ancienne capitale des Morins) et de Thérouanne à Desvres. En 1704, Guillaume Delisle, premier géographe du roi, évoquait cette route dans son avertissement sur la carte d’Artois : "Une chose agréable dans cette carte est les grands chemins, ceux que les Romains ont faits dans ce pays comme dans le reste de leur empire, sont encore presque tous en leur entier ; et ils y sont nommés, comme en beaucoup d’autres endroits de la Gaule Belgique, chaussée Brunehaut, parce qu’on croit communément que c’est cette reine qui les a fait faire et je ne m’amuserai pas à réfuter cette opinion populaire : celui même d’Arras à Thérouanne est très beau et n’est presque pas endommagé". L’appellation "chaussée Brunehaut" ne date donc pas d’hier. Elle n’a peut-être d’ailleurs rien à voir avec le nom de reine du 7ième siècle. Les Romains revêtaient leurs chaussées d’un aggloméré de cailloux de couleur "brune" et l’on parlait de "chemins bruneaux"…

De Bruneaux à Brunehaut, il n’y a pas des kilomètres. Sur cette RD 341, il y a deux "Estrée" : Estrée-Cauchy au kilomètre 16 et Estrée-Blanche au kilomètre 48. Estrée est un mot de l’ancien français, altération du latin strata, qui désignait une voie recouverte de pierres plates, une racine adoptée par l’anglais (street), l’allemand (Strasse) et le néerlandais (straat) ainsi que par la plupart des langues romanes. Le mot "estrée" a disparu du français à la fin du Moyen Âge, mais il a été conservé dans un grand nombre de toponymes, particulièrement dans le nord de la France, signalant la proximité d’une voie romaine.

C’est à Estrée-Blanche que la route rectiligne éternue soudain ! Une série de virages dessinent un "S" pour descendre vers le village (en venant d’Arras) "au bas d’une colline couverte de pierrailles blanches". Une colline qui n’avait sans doute pas arrangé les affaires des Romains (ou de Brunehaut ?). "Ch’l’Esse" est depuis quelques décennies un repère pour les amoureux de la petite reine (le vélo, rien à voir avec Brunehaut). La côte d’Estrée-Blanche est ainsi incontournable pour les organisateurs du grand prix cycliste international d’Isbergues. Cette montée longue de 900 mètres pour un dénivelé positif de 43 mètres a une pente moyenne de 4,8 %. Le point le plus haut se trouve à 89 mètres d’altitude.

Il faut quitter la chaussée Brunehaut dans le village pour aller admirer le château de Créminil, forteresse du 15ième siècle avec douves, meurtrières, et pont-levis. Et il faut revenir dans le village pour découvrir une plaque commémorative rendant hommage au chevalier Bayard, sans peur et sans reproche. Il aurait rendu les armes pour la première fois à Estrée-Blanche après la bataille des Éperons en 1513. Les soldats français avaient été mis en déroute à Enguinegatte. Le chevalier Bayard se retrouva sur la chaussée Brunehaut mais il fallait passer le gué de la rivière la Lacquette encombré de cavaliers ennemis, il fut fait prisonnier avec d’autres seigneurs.

Estrée-Blanche est aussi le "bout" du Bassin minier du Nord - Pas-de-Calais. La chaussée Brunehaut traverse deux cités construites par la Compagnie des mines de Ligny-lès-Aire. Ouverte en 1900, l’extraction du charbon commençant quatre ans plus tard, la fosse de Ligny ferma en 1950, ses puits rendus inaccessibles en 1951. Un château, un chevalier, des terrils, on ne s’ennuie jamais sur la très rectiligne chaussée Brunehaut et on essaie de ne pas imaginer le calvaire de la reine des Francs.


Article écrit par Christian Defrance pour l'Écho du Pas-de-Calais 212 d'octobre 2021.

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