Routes départementales, toute une histoire

HAUCOURT. On l’appelle encore souvent "la 39". La route départementale 939 est l’ancienne route nationale 39 que l’État a transférée au conseil départemental du Pas-de-Calais en 2006. Depuis, le Département prend grand soin de cet itinéraire structurant, "route de la mer" entre Arras et le sud de la Côte d’Opale, traversant l’Arrageois, le Ternois, le Montreuillois. On connaît moins "l’autre côté" de la RD 939, entre Arras et Cambrai. Une "route de la mémoire", une trentaine de kilomètres que des historiens de la Première Guerre mondiale ont baptisés "la voie sacrée du Canada".

RD 939RD 939
CD62/J.Pouille

Au début des années 2000, déjà dans l’optique du Centenaire de la Grande Guerre, un historien amateur canadien, Michel Gravel, est venu en France secouer quelques certitudes, celle par exemple que la victoire de Vimy en avril 1917 fut l’événement majeur de l’implication du Canada dans ce conflit. 

Sans remettre en cause la place de Vimy dans la naissance de "nation canadienne", Michel Gravel n’a pas hésité à se mettre parfois à dos des historiens "officiels" en insistant sur une période déterminante pour l’issue de la guerre : "les Cent jours du Canada".

Du 8 août au 11 novembre 1918, le Corps d’armée canadien a joué un rôle de premier plan dans la poussée victorieuse jusqu’à Mons.

Plus précisément encore Michel Gravel s’est attaché à retrouver dans les moindres détails et à raconter ce qu'il s’est passé sur la route d’Arras à Cambrai, entre le 26 août et le 9 octobre 1918.

À Cagnicourt, Écourt-Saint-Quentin, Chérisy, Vis-en-Artois, il a trouvé des oreilles attentives et des historiens locaux, des passionnés ont pris le relais, à l’image de Jean-Marie Dez d’Éterpigny.

Été 1918, le moral de l’armée allemande était au plus bas et les Alliés passèrent à l’offensive sur la ligne Hindenburg ; les Canadiens ayant pour mission d’avancer le long de la route d’Arras à Cambrai pour atteindre le canal du Nord. "Les Allemands craignaient les Canadiens qu’ils considéraient comme les soldats alliés les plus déterminés" dit Michel Gravel. Les combats firent rage du 26 août au 2 septembre, près de six mille Canadiens tués ou blessés.

À partir de Vis-en-Artois, il n’y a que des cimetières militaires canadiens…

Le 2 septembre 1918 fut une journée vraiment particulière, les Canadiens enfonçant la ligne Drocourt-Quéant. Ce jour-là, autour de la route d’Arras à Cambrai, dans un "mouchoir de poche", sept soldats canadiens accomplirent des prouesses militaires et obtinrent la Victoria Cross (Croix de Victoria), la distinction militaire suprême des forces du Commonwealth.

"Sept Victoria Cross dans un même secteur le même jour, on ne vit cela nulle part ailleurs". Jean-Marie Dez eut alors l’idée de rendre hommage à ces "7 Magnifiques" en faisant du rond-point de l’Espérance, au kilomètre 101 de la route départementale 939 entre Haucourt et Dury à l’intersection avec la route départementale 956, un "monument" à leur mémoire.

Le projet fit l’unanimité à la communauté de communes Osartis-Marquion, le Département du Pas-de-Calais apportant lui aussi son soutien pour l’aménagement paysager du giratoire qu’empruntent chaque jour au moins 13 000 véhicules. Le 2 septembre 2018, le rondpoint des "7 Victoria-Cross" était inauguré. Sept érables avaient été plantés, des bleuets et des coquelicots semés… On peut regretter que les noms de ces soldats ne soient pas indiqués.

Ils s’appelaient Bellenden Hutcheson (1883-1954, médecin militaire), Arthur George Knight (1 886-3 septembre 1918 à Villers-lès-Cagnicourt), William Henry Metcalf (1894-1968), Claude Joseph Patrick Nunney (1 892-18 septembre 1918, une stèle lui rend hommage à Vis-en-Artois), Cyrus Wesley Peck (1871-1956), Walter Leigh Rayfield (1881-1949) et John Francis Young (1893-1929).

Le 1er septembre 2018, la municipalité de Vis-en-Artois posait un panneau "Voie sacrée du Canada" à l’entrée du village et donnait le nom de "38ième Bataillon de la Force expéditionnaire canadienne" à la place le long de la 939. Vis-en-Artois reste attaché à la route de la mémoire, Philippe Degroote effectue des recherches sur les 350 soldats canadiens tués sur le territoire communal.

Ces "parcours de vie" seront présentés dans un musée des "Cent jours du Canada" en gestation… Et au Canada, Michel Gravel ne perd jamais de vue cette route d’Arras à Cambrai à laquelle il vient de consacrer un cinquième livre.

Article écrit par Christian Defrance pour l'Écho du Pas-de-Calais 208 de mai 2021.

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