Routes départementales, toute une histoire

SAMER. La queue de poisson n’est jamais la bienvenue sur la route. Les noms d’oiseaux fusent quand un automobiliste se rabat brusquement après en avoir doublé un autre, obligeant ce dernier à freiner, frôlant parfois le tête-à queue. Mais sur l’actuelle route départementale 901, qui fut jusqu’en 2005 la route nationale 1, les queues de poisson frétillèrent du 13ième siècle au 19ième siècle. Cet axe était emprunté par les "chasse-marées" qui, partis de Boulogne-sur-Mer, amenaient le poisson frais à Paris.

La "route du poisson", près de trois cents kilomètres de Boulogne à Paris, effectués en moins de 24 heures ! Les "ballons de marée"- de solides voitures hippomobiles - étaient tirés par cinq chevaux de trait filant au galop.

Le trajet s’effectuait par étapes et dans les relais de Poste, toutes les deux heures, tous les chevaux étaient remplacés. "Le poisson était transporté dans des bourriches remplies d’algues, percées de trous pour les garder au frais. Pour aller vite, il fallait de bons chemins et des contrôleurs de la marée étaient chargés de faire travailler les habitants des bourgs et villages en bordure de la route pour la rendre praticable" écrivait l’historien local André Verley dans L’Écho du Pas-de-Calais de juillet 1991, deux mois avant la première édition (les 21 et 22 septembre) d’une course relais d’attelages de chevaux lourds logiquement baptisée "Route du Poisson".

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©Y.Cadart/CD62

Inspirée de l’histoire de ces chasse-marées, ancêtres des mareyeurs, la manifestation a contribué jusqu’à son arrêt en 2012 à la promotion des chevaux de trait (les neuf races françaises : le Boulonnais, le Trait du Nord, le Cob normand, l’Ardennais, le Trait breton, le Percheron, l’Auxois, le Trait poitevin et le Comtois, ainsi que les races européennes comme le Suffolk, le Clydesdale, le Shire, le Franche-Montagne, le Trait allemand, le Brabançon ou encore l’Ardennais belge). La Route du Poisson s’est imposée comme la plus grande course européenne de relais d’attelages. La première édition avait été remportée par l’équipage boulonnais en 22 heures 47 minutes et 52 secondes.

En février dernier, Thibaut Mathieu, un passionné d’équitation, annonçait la "renaissance" de cette mythique course, après neuf ans d’absence et pour le 30ième anniversaire de sa création. Du 21 au 26 septembre 2021, l’événement "devait" rassembler 20 équipes, 440 chevaux, 1 400 concurrents, 6 000 bénévoles et traverser deux régions, trois départements, 100 villes et villages… au gré des routes départementales, de chemins escarpés et de sentiers forestiers. "Devait" car une "queue de poison" nommée variant Delta a contraint les organisateurs à reporter la Route du Poisson à 2022. En attendant le retour des chevaux de trait, il ne reste plus qu’à se rabattre sur les chevaux-vapeur de nos voitures et suivre tranquillement la route départementale 901, de Nempont-Saint-Firmin à Saint-Léonard aux portes de Boulogne.

Elle traverse Wailly-Beaucamp, contourne Montreuil-sur-Mer, traverse Attin, la Verte Voie à Lacres, Panehem, Samer, Hesdin l’Abbé, Isques. À Samer, une visite de la Maison du cheval boulonnais est indispensable (avec le pass sanitaire). Au bord de la 901, l’ancienne ferme de la Suze est devenue une "vitrine" du cheval boulonnais, héros des anciens relais de Poste. Disparue en 1873, détrônée par le train, la Poste aux chevaux avait été créée en 1 464. En 1821, le Pas-de-Calais comptait encore 31 relais de Poste aux chevaux et leurs maîtres étaient des personnages importants, citons la famille Sauvage à Samer ou la célèbre famille Cochon à Cormont.

Le 19 juillet 1804, pour se rendre au camp de Boulogne, sur la route du poisson, Napoléon avait relayé à Cormont. Le maître de Poste lui avait montré sa belle écurie et huit magnifiques chevaux noirs avaient été attelés à la voiture de campagne de l’empereur. En route, Napoléon s’endormit et son aide de camp fit signe au postillon de brûler l’étape de Samer. L’empereur ne se réveilla qu’à Boulogne "fort satisfait d’être parvenu aussi vite au terme de son voyage et dans une lettre adressée au général Marmont, il écrivit : ‘Je n’ai jamais fait la route de Paris à Boulogne aussi vite et j’ai eu des Cochon pour me conduire’ " racontait André Verley. Le même Napoléon, toujours sur notre actuelle RD 901 se serait, après une dispute, rabiboché avec l’impératrice Marie-Louise en traversant Cormont puis Attin. Cet épisode polisson - est-ce une légende ? - serait à l’origine du nom des lieux-dits Le Catouillage à Cormont, La Culbute à Attin et du hameau de La Paix-Faîte à Attin.


Article écrit par Christian Defrance pour l'Écho du Pas-de-Calais 211 de septembre 2021.

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